El-Choubachy se confie sur son parcours professionnel au Salon du Progrès

Dr Nesrine Choucri Dimanche 13 Octobre 2019-13:24:27 Salon
El-Choubachy au Salon du Progrès
El-Choubachy au Salon du Progrès

Issu d'une famille de journalistes, Nabil El-Choubachy a commencé sa carrière à la radio avant de se consacrer pendant de longues années à l'écran de Nile TV. Souriant, positif, et surtout ouvert aux autres et à la différence, il assure que le rôle des médias est avant tout d'informer avec objectivité et neutralité. C'est cette objectivité qui lui a permis de grandir entre deux cultures en s'intégrant facilement, tout en restant attaché à ses racines. C'est d'ailleurs sa philosophie qu'il souhaite transmettre à son fils et aux jeunes égyptiens. Grand défenseur de la culture arabe et de la langue arabe, Nabil El-Choubachy se livre exclusivement au Progrès Egyptien avec la plus grande transparence. Entretien.

 

Y ont assisté : Chaïmaa Abdel-Illah et Dalia Hamam

Propos recueillis par Dr Nesrine Choucri

- Vos débuts étaient à Nile TV et vous travaillez maintenant à France 24, un long parcours comment pouvez-vous le décrire?

En fait, j'ai commencé par la radio. Puis, j'ai commencé ma carrière à Nile TV. J'y ai passé une longue période avec beaucoup de souvenirs. C'est en 2017 que j'ai eu une proposition de France 24 pour m’occuper de la chaîne arabe. Donc, je suis parti en France pour cet objectif. Je ne suis plus journaliste tellement, si je suis évidemment journaliste, mais c'est plus un travail de management que de journalisme. Mais, ça reste toujours une chaîne d'informations comme ce que je faisais à Nile TV. A l'époque, j'étais responsable de gérer la section française et les émissions politiques.

- Vous dites qu'à France 24, vous ne faites pas forcément un travail de journaliste, mais du management, quels sont les challenges que vous avez rencontrés?

Le challenge le plus important c'est de gérer la chaîne au quotidien, de gérer une chaîne de télévision avec tous les facteurs qui puissent y avoir aussi bien humains que professionnels. Il y a évidemment un autre challenge. Quand j'étais à Nile TV,  j'ai toujours pensé que les gens sont contents d'être dans un environnement où ils aiment travailler et qu'ils aiment regarder. C'est-à-dire que j'aime que les gens sentent que c'est du boulot. Ils viennent pour faire du travail, puis ils rentrent chez eux et c'est fini. A mon avis, les gens sont plus productifs quand ils sont contents au travail. Le plus grand challenge était d'essayer de faire une chaîne qui rend plaisir à ceux qui travaillent dedans.

Parmi les autres challenges, il faut savoir que France 24 propose des chaînes en langues anglaise, arabe, française et espagnole. Il fallait donc rapprocher ces chaînes et travailler en commun avec la rédaction française et la rédaction anglaise, parce que la rédaction espagnole est en Colombie. Et les échanges se font plus par mail avec cette quatrième chaîne. Bref, il fallait rapprocher un peu plus les rédactions anglophone et francophone. Par exemple, quand il y a une nouvelle qui arrive sur une agence arabe, traduire en commun, de la même manière. En d'autres termes, que les gens sentent qu'ils ne travaillent pas pour la chaîne arabe, anglaise ou française, mais qu'ils travaillent pour France 24. A titre d'exemple, nous avons envoyé des arabophones en Egypte pour la Coupe d'Afrique qui font des "lives" en français.

- Les médias dans le monde entier sont à une phase décisive et délicate. Est-ce que vous pensez que cette phase va permettre de réformer les médias ou du moins de leur donner du nouveau sang aussi bien sur le plan forme que contenu?

Ce qui est ce que la critique des médias. Les gens doivent savoir que nous ne sommes là pour informer, pour dire les choses bien et les choses moins bien qui se passent. On n'est pas des médias de propagande. Nous essayons de relater objectivement et c'est ça le défi principal : rester neutre et voir les choses comme les spectateurs pour les médias et les lecteurs pour les journaux. Ceux-ci méritent d'être informés.   

- Est-ce que vous ne pensez pas que trop d'informations sur la télé tue la télé ? Dans le passé, la télé a été lancée évidemment pour informer - comme vous le dites - mais aussi pour instruire et cultiver?

Peut-être que le côté instruire et cultiver a disparu. A mon avis, il a disparu parce qu'il y a une certaine course au scoop et à l'information qui est présente un peu partout. C'est ce que j'appelle l'école américaine un petit peu avec les idées de breaking news. Je pense qu'en France, il y a encore une spécificité éducative à la télé. A titre d'exemple, la chaîne de France 24 présente quelques émissions qui servent cet objectif. On a une émission qui s'appelle "Paris secret", c'est une émission, un petit historique qui va voir les principaux sites de l'histoire de France. L'émission choisit des choses un peu méconnues. Le côté éducatif existe aussi quand il y a un dossier chaud comme le Brexit. Dans ce cas, on essaye d'expliquer qu'est-ce que le Brexit? Pourquoi c'est difficile? Quelles en sont les conséquences? Ainsi, le côté éducatif est très présent. C'est très important. Faire des breakings-news c'est une chose, mais qu'on doit expliquer c'est autre chose.

- A votre avis, quels sont les meilleurs outils pour que les médias égyptiens s'adressent aux étrangers et aux médias étrangers?

Intelligemment. Je pense qu'ils doivent commencer par s'adresser non pas à l'Occident, mais à l'Afrique par exemple. En effet, cette année, l'Egypte préside l'Union Africaine, cela aurait pu être exploité afin de projeter des émissions en français et en anglais à l'Afrique et créer des ponts de communication avec le Continent.

Les documentaires sont également un outil important qui peuvent représenter la société égyptienne. Ainsi, peut-on à titre d'exemple tourner des documentaires sur les amitiés et les relations humaines entre musulmans et chrétiens en Egypte. Là, un message réel de fraternité va parvenir aux autres sans pour autant dire le message de manière directe.  

- Quand on parle de Nabil El-Choubachy c'est incontournable de citer Farida El-Choubachy, votre mère. Une relation mère-fils très soudée. Vous avez grandi avec une femme calibre qui a sa vision des choses et qui insiste à la présenter…

C'est une relation très soudée, mais nous ne sommes pas toujours d'accord au sujet des différents sujets. J'ai toujours vécu dans une famille où on parlait beaucoup où chacun avec ses propres idées sans influencer les autres. Mais, on a des visions différentes. Donc, le dialogue est continu. A la rigueur c'est normal parce que nous avons des générations différentes. Elle a vécu des choses très différentes que je n'ai pas connues. Moi, j'ai connu des choses qu'elle n'a pas connues. Mais, il y a un lien réel.

J'ai toujours pensé que la maison est responsable de l'éducation et la culture. J'ai eu la chance de grandir dans une maison où mes parents étaient journalistes. J'avais sept, huit ans, quand je rentrais de l'école, j'entendais des noms tels que Sadate, Begin, Carter, etc… Donc, obligatoirement, cela a éveillé ma curiosité. Jusqu'à maintenant nous sommes très proches et nous devons nous appeler une fois ou deux fois par jour. On échange les avis sur certains sujets. Mais, quand nos avis ne sont pas les mêmes, on respecte l'autre.

- Vous avez grandi dans une famille de journalistes, mais vous avez également grandi en France. Cette période a certainement influencé votre personnalité d'autant plus que vous avez grandi entre deux cultures?

Quand on grandit entre deux cultures, ça dépend de comment on prend les choses. Il y a ceux qui se retrouvent perdus entre deux cultures : ils ne se sentiront jamais européens. Ils afficheront un certain snobisme envers la culture arabe, parce qu'ils estiment qu'ils sont européens. Et il y a au contraire ceux qui s'attachent davantage à leur culture d'origine. Moi, c'était l'inverse. Je me sentais intégré dans la société française et en même temps, j'avais une culture arabe aussi à la maison. Mes parents insistaient que je parle en arabe, que je regarde des séries et des films arabes. J'ai eu la chance quand j'étais adolescent, il y a l'invention du magnétoscope pour rester en contact avec l'Egypte. Mes parents m'ont toujours montré que cette double culture est positive. Quand j'allais à l'école, je lisais Montesquieu, Voltaire. Mais, j'avais aussi une autre culture à la maison, et je lisais Taha Hussein ou Naguib Mahfouz, même si je les lisais en français. J'écoutais aussi Jacques Brel et Alain Souchon et chez moi, j'écoutais Fayrouz et Abdel Halim Hafez. C'était un plus que les autres ne connaissent pas. Si j'avais demandé à mes copains de classe en France, est-ce que tu connais Abdel Halim Hafez, il n'aurait pas eu de réponses. Alors que moi, je connaissais tout le monde. Donc, on peut finalement tirer du positif dans tout cela. On se sent alors plus riche parce qu'on a plus de bagages, notre champ de vision est plus grand. En même temps, en France, j'étais à l'école publique, il y a des enfants de diplomates, de bouchers, de concierge, de médecin. Bref, j'avais accès à tout le monde. Or, en Egypte, je n'aurais pas eu la même chance. Nous fréquentons des écoles où les élèves sont du même milieu social ou encore nous fréquentons le même club. C'est ainsi un monde un peu fermé. Alors que la vraie vie c'est de s'ouvrir aux autres.

- L'idée de "vous ouvrir aux autres" vous a-t-elle aidé à éduquer votre fils?   

Evidemment. II a un peu la même approche que moi, même si c'est différent car c'est un fils unique. Toutes ces valeurs humaines, je pense qu'il les a aussi. En tant que parent, je lui ai expliqué qu'il est né dans cette famille par pur hasard et qu'il doit par conséquent s'ouvrir davantage aux autres et que les gens bien sont partout, ce n'est pas une question de classe sociale. D'où, il doit s'ouvrir aux autres. On lui enseigne surtout des valeurs, d'être surtout plus tolérant.

- L'attachement à la culture arabe, nous le remarquons même dans des commentaires personnels sur votre page Facebook lorsque vous soulevez la question : pourquoi nul ne parle arabe au Littoral Nord ?

Cela m'a vraiment paru provocant. En plus, la langue arabe est parmi les plus belles langues au monde. Je ne suis pas contre le fait de parler et d'apprendre des langues étrangères. J'ai vécu près de 22 ans en France. Durant cette période, je n'ai jamais vu des enfants français qui parlent entre eux en arabe ou une autre langue. Alors, ce n'est pas logique que les Egyptiens parlent entre eux en anglais, même sur la mer.

Dans mon enfance, je suis parti en France à  l'âge de 7 ans. A l'âge de 9 ans, j'ai commencé à oublier un peu l'arabe. En effet, mes parents devaient bosser de longues heures. Je n'avais pas toujours le temps d'un grand échange avec eux, et j'ai commencé à perdre mon arabe. Une des fois, j'ai commencé une phrase en arabe et j'ai continué en français. Mais, mes parents m'ont fait la remarque : si tu parles dans une langue, tu dois continuer dans cette même langue.

en relation